72°N 48°O
juin 2016
Upernavik; 1055 habitants.
Il y avait la résidence sise au bout de l'île, autour duquel les bateaux passaient le jour.
J'étais souvent assise à l'extérieur sur une chaise, à ruminer mes idées et à observer les glaciers, abandonnant très tôt l'idée d'affichage car dans la Mer de Baffin et ses îlots côtiers, point de murs à l'horizon. Les idées flottent et se perdent, comme ma propre perception du temps et de l'autre. En voulant produire une oeuvre dont l'approche serait collaborative/participative/interactive, j'ai frappé un mur : le seul qui se dressait dans les environs. Un choc culturel, ce que j'ai compris bien plus tard. Déstabilisée, j'ai trouvé refuge dans l'écriture et dans le compte-rendu graphique quotidien, incapable de produire un objet d'art qui irait à la rencontre de l'autre.
Je saluais discrètement dans la rue, en souriant. J'ai dû me faire à l'idée qu'il m'était impossible en si peu de temps de dépasser la cordialité et l'amabilité, même si j'avais envisagé bien plus. Je me suis sentie terriblement mal pendant un certain temps, comme si je profitais de quelque chose auquel je n'aurais pas dû avoir droit. J'étais dans une situation délicate et m'en rendait compte lentement. J'aurais voulu être capable de franchir ce pont qui me séparait de l'autre : j'ai eu peur et n'ai rien fait.
Je me suis mise à l'écart : seule au bout de l'île, pourtant si près de tous ces gens incroyables.
72°N 48°O; par un jour radieux, j'observais les pêcheurs qui contournaient ma pointe de l'île au matin en me saluant subtilement. Si j'étais incapable d'aller vers eux, je pouvais les aborder par l'invitation au jeu. À la manière d'un voisin accueillant un nouveau venu dans le quartier, je voulais faire usage d'une métaphore de téléphone à ficelle, pour laisser le temps nous permettre de nous apprivoiser.
De la part de tous les visiteur.e.s/résident.e.s venu.e.s et à venir, je laissais à la gouache une phrase chaleureuse sur la face des rochers. Elle témoignait à distance de mon appréciation de leur accueil généreux et de leur ouverture. J'aurais voulu l'exprimer clairement à toute la communauté le moment venu, mais j'étais muette. Telle était ma solution. Elle fut rédigée en groenlandais, au meilleur de mes capacités, en collaboration avec Anders qui s'occupait du musée à ce moment-là. Elle s'effacerait après mon passage, par l'usure des marées et des vents, comme mon passage discret sur les terres du nord.
Si le choc culturel est inévitable, il reste important d'aller vers l'autre pour apprendre à le connaître et échanger, et ne pas simplement profiter de la vue qui nous est offerte. Mon passage à Upernavik n'aurait pas dû être aussi éphémère, mais l'occasion de rencontrer des gens incroyables vivant dans un contexte complètement différent de celui que j'ai connu toute ma vie. J'aurais voulu échanger et j'ai manqué mon coup, cloîtrée dans l'immobilisme. J'ai pourtant appris de cette expérience et de ce rapport de force qui existe malgré moi et serai plus vigilante et consciente à l'avenir.
À tous et toutes, résident.e.s d'Upernavik, qujanaq pour tout.
juin 2016
Upernavik; 1055 habitants.
Il y avait la résidence sise au bout de l'île, autour duquel les bateaux passaient le jour.
J'étais souvent assise à l'extérieur sur une chaise, à ruminer mes idées et à observer les glaciers, abandonnant très tôt l'idée d'affichage car dans la Mer de Baffin et ses îlots côtiers, point de murs à l'horizon. Les idées flottent et se perdent, comme ma propre perception du temps et de l'autre. En voulant produire une oeuvre dont l'approche serait collaborative/participative/interactive, j'ai frappé un mur : le seul qui se dressait dans les environs. Un choc culturel, ce que j'ai compris bien plus tard. Déstabilisée, j'ai trouvé refuge dans l'écriture et dans le compte-rendu graphique quotidien, incapable de produire un objet d'art qui irait à la rencontre de l'autre.
Je saluais discrètement dans la rue, en souriant. J'ai dû me faire à l'idée qu'il m'était impossible en si peu de temps de dépasser la cordialité et l'amabilité, même si j'avais envisagé bien plus. Je me suis sentie terriblement mal pendant un certain temps, comme si je profitais de quelque chose auquel je n'aurais pas dû avoir droit. J'étais dans une situation délicate et m'en rendait compte lentement. J'aurais voulu être capable de franchir ce pont qui me séparait de l'autre : j'ai eu peur et n'ai rien fait.
Je me suis mise à l'écart : seule au bout de l'île, pourtant si près de tous ces gens incroyables.
72°N 48°O; par un jour radieux, j'observais les pêcheurs qui contournaient ma pointe de l'île au matin en me saluant subtilement. Si j'étais incapable d'aller vers eux, je pouvais les aborder par l'invitation au jeu. À la manière d'un voisin accueillant un nouveau venu dans le quartier, je voulais faire usage d'une métaphore de téléphone à ficelle, pour laisser le temps nous permettre de nous apprivoiser.
De la part de tous les visiteur.e.s/résident.e.s venu.e.s et à venir, je laissais à la gouache une phrase chaleureuse sur la face des rochers. Elle témoignait à distance de mon appréciation de leur accueil généreux et de leur ouverture. J'aurais voulu l'exprimer clairement à toute la communauté le moment venu, mais j'étais muette. Telle était ma solution. Elle fut rédigée en groenlandais, au meilleur de mes capacités, en collaboration avec Anders qui s'occupait du musée à ce moment-là. Elle s'effacerait après mon passage, par l'usure des marées et des vents, comme mon passage discret sur les terres du nord.
Si le choc culturel est inévitable, il reste important d'aller vers l'autre pour apprendre à le connaître et échanger, et ne pas simplement profiter de la vue qui nous est offerte. Mon passage à Upernavik n'aurait pas dû être aussi éphémère, mais l'occasion de rencontrer des gens incroyables vivant dans un contexte complètement différent de celui que j'ai connu toute ma vie. J'aurais voulu échanger et j'ai manqué mon coup, cloîtrée dans l'immobilisme. J'ai pourtant appris de cette expérience et de ce rapport de force qui existe malgré moi et serai plus vigilante et consciente à l'avenir.
À tous et toutes, résident.e.s d'Upernavik, qujanaq pour tout.
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