Les nuits sous les dômes tournesol
été 2019
Île Bylot
été 2019
Île Bylot
J’ai pris place dans l’avion un dimanche matin du mois de juin,
Aux côtés d’une alouette qui s’auto-proclamait Capitaine Bobette. Avec justesse et précision, elle m’enseignera l’art de l’observation, Du repérage, de la flottaison. Forêt boréale, taïga, toundra. Ça défile en se couvrant de neige. Baffin. Pond Inlet, sur les ailes d’un faucon. Forecast: 0°C celsius. On échange la chaleur et les lueurs, c’est là une transaction réglementaire car s’il fait chaud, c’est de l’intérieur. La terre est mouillée de fonte et lumière : il fait jour tout le jour, un jour variable et soporifique. Des teintes qui s’empilent sur le Sound, des trainées de saletés squeezées entre les langues de blanc. Au loin les pentes de Bylot ; L’île qui m’appelle patiemment et Fred sans émotion qui au travers des brumes, répond. C’est un vrai perce-neige. Les snowmobiles fendent les eaux de surface et les chiens patientent en hurlant le vent-écho. D’aussi loin, on entend les cris d’une rive à l’autre. La marée descendue laisse place aux eaux grises et l’horizon blanc s’estompe dans les bancs nuageux. Pond. Pierrot, les jeunes à toute heure dehors, le candy shop, un ragoût de phoque : l’hilarité, l’hélicoptère. Le grand calme à vol d’oiseau. En nini-coptère. Le soleil chatouille nos vibrisses au moment de poser pied sur la bute. Bref arrêt au camp 1, pas le temps de niaiser vers le camp 2. Bylot deux bylot deux pour bylot 1? La voix de Mathilde résonne. Elle sera la trame de fond de l’île, jusqu’à ce que Radio Gilles entre en ondes. Une tente. Deux tentes. Trois tentes. Un village monté en une journée depuis une trentaine d’années. T’as besoin d’aide avec ta tente? Un café? On a fait des brioches! Un camp de vacances : Fred, oui l’autre Fred, Andra et Pierrot disputent une partie de pétanque endiablée dans la lumière, les mouffles et le polar. Le polar, c’est 24/7 que ça se passe ici – le paradis sur terre. Les bottes de pluie aux pieds, on foule le paysage de long en large. Tel milieu humide, tel lac, telle île. On visite des lieux mythiques : le fameux nid de goélands sur le caillou dans le lac Goldfish. Des points GPS. On sillonne en série sans fin de points GPS donnant des tracks bleues sur un écran qui s’accumulent tant qu’elles poussent en trois dimensions. C’est une deuxième nature qui germe en moi car je fleuris scientifique sur le sol du Nunavut, baignée de rayons. Sur la crête du buton d’à côté, les jambettes à Dédé défilent. Et elles défilent sans fin aussi. Y’a du pluvier qui territoire en titi. Fin juin, l’île éclot de toutes ses espèces, radieuse et puissante. Immense et belle, saisissante. À travers elle, les nids convoités sont cachés dans un gradient de colonie d’oies : autour ça grouille. Éliane pour Louis ? Ouais, j’ai trouvé un nid de bécasseau là pis… 2-3-4-5-6 cocos… Chaque espèce y met du sien et une chose est sûre : il faut flotter des œufs. La vie qui s’active au sein de ceux-ci leur fait perdre la densité. Lentement ils remontent en surface avant de percer leur coquille et certains, déjà motivés en sortant, quitteront leur nid à peine séchés. Les catmarins nichent dans l’humidité, les goélands rient en nous attaquant. Les Hutchins trônent au milieu du tumulte. On peine à trouver les limicoles! On cherche toujours des limicoles. Au travers de ce bordel, les renards pillent des œufs. La toundra, c’est un gros réfrigérateur. Fred, le premier Fred pas l’autre Fred, installe une traverse sur la rivière à grand débit : 4 ans de cogitation. Bylot, ça a l’air que ça inspire! On dit que les chansons comme les moustiques y naissent car tous les sujets s’y prêtent : les labbes parasites se greffent à Marjo, les bamas tant adorés à Ram Jam – O hole in sole bamaland – et les cafouillages matinaux à Thomas Fersen. On bouillonne, un bouillon rayonnant. Je vous l’ai dit, ici, ça grouille. Des coups de soleil jusqu’au rebord des lunettes viennent esquisser le fameux racoon sur nos visages. On soupe tard. Pâté de rails, lasagne; les assiettes débordent, on est affamé.e.s la tête pleine. Le camp est plein de cossins qui traînent, on se laisse trainer, ça met Fred su’l nerf et Fred en rit – La nouvelle espèce de l’heure : Chen freduleens. Ça jase à toute heure dans la tente bouffe depuis plus d’un mois. Le bureau est désert depuis le début : on préfère travailler entassé.e.s en buvant du café sous notre chandelier en carton. Le temps s’écoule, la lumière change. Nos réserves d’énergie ne sont plus ce qu’elles étaient et le ciel nous verse des larmes à l’idée de nous voir bientôt quitter. La symphonie de zipper de tentes est moins vigoureuse le matin et le café disparait plus vite. On écoute Dragonballz pendant la rentrée de données. Gab et Richard viennent souper. Gab et Richard repartent. On commence à ranger. Dédé défile un peu moins. On démonte l’entrepôt, orné d’une patche de plus cette année. On roule la clôture. On joue à la pétanque. 21 juillet, Jim arrive en nini-coptère. J’ai les yeux humides et un motton dans la gorge, une émotion de sandwich aux œufs. On décolle : Lilou, Andra et Fred sont de plus en plus petits et petites et mon cœur de plus en plus gros. Le Sound limpide est plein de narvals, c’est magnifique. Pond se dessine à l’horizon. Depuis longtemps, le Nord a planté ses griffes sous ma peau et les voilà qui se resserrent. Je repars le corps vide d’avoir marché mais riche de mille hectares de mousses et de lichens, de fleurs et d’oiseaux, de vents glaciaux et de rivières. J’ai les collines de hummocks et les polygones mouillés d’inscrits dans la tête et l’humidité des dernières semaines lovée dans les veines. J’ai été avalée par la toundra. J’aurai roulé du pied avec elle par-delà les pentes douces, j’aurai chanté ses couleurs sous tout éclairage et j’aurai respiré sa moiteur, enivrée. Une baignade frissonnante à la vue du Sound, les orteils repliés dans la toundra qui vous remonte jusqu’au cœur. On rentre bras dessus bras dessous à la maison : je laisse une famille de substitution qui m’aura vu grandir. Tout ce paysage semble parfait à un seul défaut près : l’Arctique carbure au gaz. Et loin de moi la volonté d’en rajouter, je viens de mettre le pied dans l’engrenage. |
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